C'est peu dire que la sortie du cinquième album des canadiens a fait parler d'elle. Après l'envol Funeral, les deux chefs d'oeuvre Neon Bible (le plus sombre) et The Suburbs (le plus varié) et le pas complètement convaincant Reflektor, qu'allait nous concocter la formation emmenée par le couple Win Butler / Régine Chassagne?
Un aperçu en avait été donné lors des premiers concerts estivaux, avec les morceaux "Everything now" et "Creature comfort", joués sur plusieurs dates. S'il est toujours difficile de se faire un avis tranché lorsqu'on découvre un morceau en live, on sentait quand même qu'on était plus proche de la pop electro-dansante de Reflektor que de la dépression en barres qu'était Neon Bible.
Bon nombre de critiques, après avoir écouté l'album, ont descendu ce dernier en flèche, affirmant que le groupe était définitivement compromis, que le syndrome U2/Coldplay/Muse (rayer la mention inutile) leur pendait au nez, bref que l'âme de la formation s'était définitivement évaporée.
Et là je dis: oui mais non.
Oui mais non, parce que beaucoup de choses apparaissant sur la version physique du disque sont importantes. Au verso de la pochette d'abord, les noms des titres sont précédés de la mention "starring:" et sont tous présentés sous la forme de logos. On est donc dans la dénonciation du commerce libéral à tout crin, ce qui est toujours hyper casse-gueule quand cela vient d'un groupe qui vend des disques par camions entiers.
Sauf que le livret vient enfoncer le clou de manière assez remarquable: il s'agit d'une feuille recto-verso se présentant comme un prospectus de l'enseigne "Everything now", et chaque chanson est associée à un produit marketing. Et là, on comprend que les Arcade Fire ont réalisé totalement consciemment un album hyper commercial, justement pour dénoncer l'uniformité ambiante en terme de sons qui plaisent et qui sont matraqués par les différentes radios. Et ça, qu'on aime ou pas, c'est quand même assez fort de pousser le vice jusque là, jusqu'à même aller recruter une moitié de Daft Punk (Thomas Bangalter) pour coproduire l'album.
Le pari d'Arcade Fire aurait été totalement gagné si les compositions du disque avaient été, non seulement commerciales, mais en plus excellentes (on peut faire un très bon album commercial, cf. Viva La Vida de Coldplay par exemple). Et c'est là où malheureusement le bât blesse: niveau compos, ça tire un peu la langue.
Pourtant, l'attaque avec le diptyque "Everything_now (continued)" / "Everything now" est loin d'être mauvaise. Le morceau est un tube en puissance, il n'y a qu'à voir comment le public réagit d'ores et déjà au quart de tour lors des concerts: même si on peut le qualifier de "facile" dans le sens où le gimmick sonne de façon extrêmement simple, "Everything now" est un vrai bon morceau fédérateur, qui plus est parfaitement produit. Les choses se gâtent dès "Signs of life": la production est toujours excellente, sauf que la mélodie est aux abonnés absents.
"Creature comfort" redresse la barre de fort belle manière. C'est fort, c'est puissant, c'est addictif, et malgré une fin qui s'étire un peu et des aigus de la miss Chassagne parfois limite (qui a dit comme d'habitude?), c'est pas mal du tout. "Peter Pan" et "Chemistry" sont en revanche anecdotiques: les mélodies sont sympatoches mais c'est cette fois la production qui gâche un peu tout, avec des relents reggae et/ou mariachis pas des plus heureux.
On arrive à la moitié de l'album, hop un petit diptyque, et c'est très bon: "Infinite content" (stoner) enchaînée à "Infinite_content" (country) passent très bien, et on regrette même que le groupe n'ait pas creusé davantage cette mélodie particulièrement accrocheuse.
Viennent alors les deux morceaux vraiment planplans de l'album: "Electric blue" d'abord, avec Chassagne en lead vocal. Poussif, très poussif, surtout si on fait la comparaison avec le dévastateur "Sprawl II", dont ce morceau semble être le demi-frère (demi seulement, ça manque quand même singulièrement de patate). "Good God dam" ensuite: venant de n'importe quel groupe, on trouverait ça pas trop mal, sauf que venant du groupe capable de claquer "Intervention", "Ocean of noise" et "My body is a cage" sur un même album, on attend autre chose qu'un machin neurasthénique qui tourne en roue libre.
On se dit que la fin de l'album va être une longue purge, sauf que là, le miracle: "Put your money on me". Du très très bon Arcade Fire, qui croise "Windowsill" et "Modern man". Les voix s'entremêlent, la mélodie, pas forcément compliquée, se fait enfin émouvante. Bref, là, on valide les yeux fermés. A un degré moindre, la ballade "We don't deserve love", qui vient clore l'album avant la reprise finale "Everything now (continued)" est aussi de très bonne facture, ce qui laisse d'autant plus un goût de frustration dans la bouche (et surtout dans les oreilles).
On a finalement le sentiment que, consciemment ou pas, le groupe s'est plus investi dans la forme que dans le fond de son album. Et c'est dommage car, par certaines fulgurances, on sent quand même que Arcade Fire en a encore sous la pédale et est toujours capable de pondre de très grandes choses. Allez, pour le prochain album, je préconise dix titres enregistrés dans les conditions du live sans aucun concept autour. Là, ça devrait être (très) bon.