Instant historique à titre tout personnel jeudi dernier, puisque j'allais enfin voir pour la première fois en concert Bob Dylan.
Pour resituer le contexte, je suis resté très longtemps, si ce n'est hermétique, en tout cas pas tellement concerné par l'oeuvre dylanienne. Comme tout le monde, j'avais un best of, sur lequel j'écoutais essentiellement les titres les plus connus ("Blowin' in the wind", "The times they-are-a-changin'", "Don't think twice it's all right", "Like a rolling stone" et "Knockin' on heaven's door"), mais c'était à peu près tout. Par manque de temps, manque d'envie, je restais donc très en surface de la discographie de Bob Dylan.
Et puis, il y a une dizaine d'années, est paru un coffret regroupant tous ses albums à un prix défiant toute concurrence. Et en parallèle, je faisais la découverte d'un site remarquable à consulter ici, qui regroupe tous les textes des chansons ainsi que leur traduction en français. Coffret + site = et la lumière fut.
Je me suis ainsi fait, dans l'ordre chronologique, l'intégralité de la discographie de Bob Dylan (hors tout ce qui est outtakes il faut préciser), et il m'est apparu évident que, si on ne comprenait pas les textes du monsieur, on passait totalement à côté de son oeuvre, qui est objectivement brillantissime. Alors attention hein, Dylan a aussi pondu de sombres bouses au cours de sa carrière, que ce soit des albums studio (Self Portrait, Knocked Out Loaded, Down In The Groove) ou live (At Budokan, un des pires albums live existant, Dylan & The Dead avec la participation de Grateful Dead), sans compter la période dite "chrétienne" où il nous met du Jésus à toutes les sauces (ça ne durera que trois albums heureusement). Mais si on excepte ces sorties de route, légitimes quand on a 60 ans de carrière, cette dernière est quand même stratosphérique.
Alors bien sûr, ces dernières années, la voix se fait moins assurée, les concerts sont moins longs, mais Dylan continue son "never ending tour" vaille que vaille. Et c'était donc mon premier rendez-vous avec ce qu'on appelle communément une légende vivante.
Dylan avait prévenu: il ne jouerait pas ses classiques sur cette tournée, centrant son set sur son dernier album, le très bon Rough And Rowdy Ways. Il avait aussi prévenu: pas de portables pendant son concert. De charmantes hôtesses nous enferment donc nos préciiiiiiiieux à l'entrée de la salle dans des pochettes magnétisées, et nous pénétrons ainsi "phone free" dans la salle 3000.
L'amphithéâtre n'est pas plein pour cette première date lyonnaise - il y jouait aussi le lendemain - puisque les gradins supérieurs sont clairsemés. Comme je ne savais pas si j'aurais l'occasion de le revoir un jour en concert, j'avais fait péter la tirelire et avais pris une place au troisième rang. Me voici donc au milieu de retraités - ou en passent de l'être - fans hardcore, venus d'Allemagne, des Etats-Unis et d'Angleterre, qui visiblement suivent Dylan sur toute sa tournée - sauf Montreux car "places trop chères!" - et qui connaissent chaque virgule de sa discographie par coeur. J'avais déjà vu des fans absolus à certains concerts (Indochine, Springsteen ou Depeche Mode notamment), mais là c'était du très très haut niveau. Mais, comme on va le voir par la suite, ces aficionados ont grandement participé à l'excellente ambiance qui s'est dégagée pendant le concert.
20h05: les lumières s'éteignent, un morceau classique assez grandiloquent - et non identifié - sort des enceintes, et les six musiciens prennent possession de la scène. Dylan est au piano, au centre, visage tourné vers le public. Autour de lui, et vraiment littéralement autour de lui, deux guitaristes, un multi-instrumentiste (pedal steel, mandoline, guitare, violon), un bassiste et un batteur, tous de noir vêtus.
Ils attaquent par "Watching the river flow", et là, on craint un peu le pire. Le volume du backing band est trop élevé par rapport à la voix de Dylan, qui semble bouffer deux mots sur trois, et là on se dit que le concert va être très long... Heureusement, au bout d'une minute, l'ingé son retrouve ses esprits, le son s'équilibre et le set démarre pour de bon.
Comme prévu, la prestation de Dylan sera centrée autour de Rough And Rowdy Ways, puisque pas moins de neuf morceaux extraits de cet album seront joués. L'occasion d'avoir la confirmation de la qualité de ce disque, avec des merveilles comme "Key West" ou "I've made up my mind to give myself to you". Et Dylan me direz-vous? Hé bien ce fut un diesel de 82 ans. Deux morceaux pour se mettre en place, et après il va jouer du piano debout (oui oui, comme dirait France Gall), ne se rasseyant que pour les passages instrumentaux. Une vraie énergie se dégageait de ce vieil homme, avec un jeu de piano loin d'être ridicule, et magnifiquement secondé par ses musiciens.
Parce qu'alors eux, vraiment, pardon, mais ils m'ont totalement scotché. Une unité et une cohésion extraordinaires, une capacité fantastique à apporter des nuances sur chaque chanson, une relecture plus que convaincante de certains titres ("You gotta serve somebody" en version hyper rock et débarrassée de sa production eighties, un vrai panard), bref des musiciens exceptionnels. Dylan ne s'y trompe pas, en les présentant un par un et en disant à la fin (je la fais en français): "mes chansons ne rockent pas vraiment, mais eux ils arrivent à les faire rocker, n'est-ce pas?".
Dylan était visiblement content d'être là, avec pas moins de trois "thank you" lâchés pendant le set. C'était aussi lui le directeur musical de la soirée, regardant tel ou tel musicien pour lui dire de prendre le solo ou que c'était la dernière mesure avant la fin. Le regard, parlons-en. Bien sûr, Dylan fait son âge, et il serait peut-être temps d'arrêter de se teindre les cheveux parce que ça fait un peu ridicule... Mais son regard est resté le même, et là, je dois avouer qu'avoir ces yeux bleu électriques plus que perçants à dix mètres de soi, franchement, ça fait son effet.
Le set se déroule ainsi, avec un Dylan en voix (enfin comme Dylan peut être en voix hein, on se comprend), et avec un public dans la fosse réagissant au quart de tour. Dès que Dylan s'écartait un poil du texte d'origine ou prononçait le titre de la chanson qu'il était en train d'interpréter, on entendait des "YEAH BOBBY!", "COME ON BOBBY" ainsi que de nombreux applaudissements, ce qui a eu le don de faire sourire (oui oui, z'avez bien lu) Dylan à plusieurs reprises. Pour l'anecdote, il n'a pas de prompteur, mais...un classeur avec les partitions dans des pochettes plastiques, dont il tourne lui-même les pages entre les morceaux (il a d'ailleurs bien galéré à trouver celle de "Mother of muses", mais il a quand même attaqué la chanson en chantant, jouant du piano à une main et tournant les pages de son classeur de l'autre!).
Grands moments avec "When I paint y masterpiece", "I'll be your baby tonight", "Mother of muses" ainsi que la bouleversante "Every grain of sand" (ce texte!) qui viendra clôturer cette soirée au bout d'une heure quarante-cinq minutes de concert. Les six musiciens se lèvent, sous les applaudissements nourris de la salle, les lumières s'éteignent sur la scène, puis se rallument, laissant voir les seuls instruments, Dylan et ses acolytes ayant disparu.
Avant d'aller récupérer son portable, on entend quelques discussions: les fans ultimes sont ravis, les autres beaucoup plus circonspects ("il a rien joué de connu!", "y'a même pas eu de rappel!"), bref Dylan a divisé, comme toujours ou presque. Mais quand on le voit, on a vraiment le sentiment d'être en présence d'un troubadour, qui va de ville en ville raconter ses histoires, qui a prévenu que les vieilles histoires, il en avait marre de les répéter, et qu'il ne raconterait que les nouvelles, et qui part du principe que si le public le suit, tant mieux, sinon tant pis. A l'instar de Neil Young, Bob Dylan fait d'abord de la musique pour lui, pas pour son public, et il faut le prendre comme tel.
Son concert était une parenthèse hors du temps qu'il fallait savourer: pas de portable, pas de jeu de lumière, des musiciens physiquement très proches des premiers rangs, des histoires d'un autre temps... C'était très, très beau même si je comprends parfaitement la frustration des spectateurs qui attendaient autre chose de cette soirée. Mais Dylan n'en fait et n'en fera toujours qu'à sa tête. Et quelque part tant mieux. Même si je n'entendrai probablement jamais en concert "Ballad of a thin man", "Dirge", "If you see her say hello", "Man in a long black coat" ou "Not dark yet"...
Setlist:
Watching the river flow / Most likely you go your way and I'll go mine / I contain multitudes / False prophet / When I paint my masterpiece / Black rider / My own version of you / I'll be your baby tonight / Crossing the Rubicon / To be alone with you / Key West (philosopher pirate) / Gotta serve somebody / I've made up my mind to give myself to you / West L.A. fadeaway / Mother of muses / Goodbye Jimmy Reed / Every grain of sand
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