C'était la troisième fois que j'allais voir Roger Waters en concert, après les prestations données à Magny-Cours en 2006 puis à Bercy dans le cadre de la tournée "The Wall" en 2011. Après les magnifiques concerts de Gilmour à Orange en 2015 puis aux salines d'Arc-et-Senans en 2016, j'avais un peu peur d'être déçu par Waters, surtout que son dernier album en date, Is This The Life We Really Want?, ne m'avait pas franchement emballé. Mais bon, un concert floydien à quelques encablures du domicile, ça ne se refuse jamais, donc allons-y gaiement.
Il était bien spécifié sur le billet "début du concert à 20 précises". Et effectivement à 20h précises, l'écran se situant derrière la scène s'illumine d'un coup - mais les lumières de la salle restent éclairées - et les images d'une femme assise sur une plage, dos à la mer, apparaissent. Et ça va durer 20 minutes comme ça. Autant dire qu'on avait l'impression d'avoir allumé Arte un jour de grève. Niveau son, d'abord uniquement la mer et des mouettes (mais qui permettent de découvrir qu'on va avoir droit à un son en quadriphonie), puis une mélopée orientale, pas désagréable mais pas vraiment dans le ton de la soirée.
Au bout de vingt minutes, le ciel s'obscurcit, un coeur et le battement qui va avec apparaît à l'écran, les lumières s'éteignent et "Breathe" démarre. Version propre, son nickel pour la Halle, tout le monde se pose, tout va bien. "One of these days" démarre derrière. Et là, souci. Malgré un son de basse formidable, Waters propose une relecture inutilement hyper agressive de ce morceau. Pourquoi avoir mis des images glauques en arrière-plan, type torture suggérée, alors même que la chanson en elle-même charrie une tension énorme? Pourquoi, sur le pont, proposer une surimpression dégueulasse de Waters en direct avec des images n'ayant rien à voir avec le shmilblick? C'est assez éprouvant et surtout pas très agréable comme sensation. Ces deux premiers morceaux sont visibles ci-dessous:
"Time / Breathe (reprise)" derrière, du grand classique, bien interprété mais de façon presque trop professionnelle par le backing band de service.
Même chose pour "The great gig in the sky", sur lequel les deux choristes qui portent des perruques blondes peroxydées et oeuvrent sous le pseudonyme des Lucius, proposent un truc techniquement parfait mais assez braillard et éloigné de la performance initiale de Clare Torry.
Premier morceau vraiment intéressant ensuite selon moi: "Welcome to the machine", dont je ne suis pourtant pas grand fan à la base. Mais là, avec le clip d'origine, et le final sur lequel le dessin animé montre des milliers de mains se dressant dans une mer de sang, et en parallèle les projecteurs éclairant la foule avec des lumières rouges identiques, là ça le fait (un extrait entre 8'05 et 10'30 ici).
Manque de pot, après ce premier grand moment, Waters nous impose trois titres de son album solo, soient "Déjà vu", "The last refugee" et "Picture that". J'ai beau essayé, je n'y arrive pas, il y a tellement d'auto-citations dans ces morceaux, musicalement parlant, que ça fait vraiment hyper râbaché comme truc. Et toujours des images de réfugiés, de guerres, des surimpressions jaune/orange immondes sur "Picture that" (le moins mauvais des trois morceaux), bref une vraie purge. Je ne pensais jamais dire ça au cours d'un concert floydien, et pourtant...
Sentant que le public a besoin d'être réveillé, Waters dégaine "Wish you were here". Sa voix passe quand même bizarrement sur ce morceau, et ces couleurs de vidéos bon sang... C'est moche, c'est moche, c'est moche, y'a pas d'autre mot.
Quand j'entends les premiers bruits d'hélicoptère (en quadriphonie, miam), je me dis qu'on va avoir droit au passage "thewallesque" du concert. Bingo, et à ma très grande surprise, ça a été un super moment. Pourtant, l'enchaînement "The happiest days of our lives" / "Another brick in the wall (Part 2)", on l'a entendu et réentendu. Mais là, en proposant une version tendue, sans solos à rallonge, et surtout en couplant ces deux morceaux à "Another brick in the wall (Part 3)", Waters réussit son coup. Vrai bon moment où la sauce prend pour de bon, même si j'ai un gros doute sur le fait que Waters ait chanté en direct la dernière partie du morceau.
Après ça, entracte. Pendant ce dernier, des messages défilent sur l'écran: "RESIST", des slogans anti-guerre, anti-consuméristes... Un peu surréaliste de voir ça pendant que les conversations autour de nous consistent en "y'a un de ces mondes aux toilettes!" "les t-shirts sont chouettes mais ils sont pas donnés" "demandez le programme! 20 € le programme!". Bizarre, bizarre...
Démarrage de la seconde partie, une sirène se fait entendre, l'espèce de barre qui soutenait les projecteurs au centre de la salle descend, et en surgit une magnifique Battersea Station. Alors là bravo, chouette effet visuel, même si ça peut un peu gêner la vision des spectateurs se trouvant pile dans l'axe.
Qui dit Battersea Station dit Animals, et voici Jon Carin (toujours aussi brillant multi-instrumentiste) qui attaque l'intro à la 12 cordes. Jonathan Wilson se colle aux parties vocales de Gilmour, et ça lui va très bien. Tout va comme sur des roulettes jusqu'au pont. Et là, gros malaise me concernant. Déjà, musicalement, j'ai trouvé ce pont très long, très monotone, sans réel intérêt. Là, pour dynamiser le truc, Waters et ses musiciens enfilent des masques de cochons et de chiens, et font semblant de boire du champagne à foison. Puis Waters brandit deux pancartes, sur lesquelles sont inscrits "Pigs rule the world", puis "No! Resist the pigs".
Bon, alors là oui mais non. Parce que Waters faisant la critique du capitalisme de cette manière là alors que son compte en banque doit compter plusieurs zéros, qu'il faut débourser 80 € en moyenne pour aller le voir, et qu'il fait partie, qu'il le veuille ou non, des "Pigs" en question, franchement ça ne le fait pas du tout. On a un peu envie de lui dire que tout cela n'est pas très cohérent. Dommage car le morceau était bien réussi, malgré une nouvelle fois des choix de couleurs curieux au niveau des écrans vidéos.
"GROUIK GROUIK": ah ben tiens voilà "Pigs (Three different ones)"! Musicalement, c'est peut-être le passage du concert que j'ai préféré, entre l'intro à la basse si reconnaissable et surtout un final électrique furieux, sur lequel les gratteux Kilminster et Wilson s'en sont donnés à coeur joie. Visuellement, bien évidemment qu'Algie (ou son descendant, enfin bref un gros cochon gonflable) est venu survoler la fosse. Par contre, pour le reste, voilà que cette chanson, qui était à l'origine une charge contre "trois cochons différents", devient, grâce aux vidéos projetées, une charge uniquement dirigée contre Donald Trump. Alors en soi, pourquoi pas hein, sauf qu'à force de projection de vidéos saccadées, toujours dans des coloris qui ne pouvaient ravir que des daltoniens, et un final au cours duquel les "meilleures" citations de Trump étaient montrées partout, ben ça devenait épuisant, et surtout l'attention était plus attirée par ce qu'on voyait que par ce qu'on entendait. Et je le répète, c'était vraiment dommage car musicalement, ça envoyait du pâté.
"Money"suit derrière. Est-ce que c'est parce que je l'ai trop entendue en live, interprétée par tout plein de monde (Pink Floyd, Gilmour, Waters, Australian Pink Floyd, Brit Floyd...), toujours est-il que je l'ai trouvée un peu en mode pilotage automatique. Plein de projections derrière avec plein de grands de ce monde, notamment beaucoup d'images de...de...mais oui de Trump, vous avez gagné. Bon, mon petit Roger, on a compris que tu ne l'aimais pas ce bonhomme, on peut éventuellement passer à autre chose non?
Même enchaînement que sur The Dark Side Of The Moon, avec "Us and them". Belle version, avec le batteur Joey Waronker, jusque là assez discret (beaucoup plus dans l'esprit Nick Mason que ne pouvait l'être Graham Broad, batteur habituel de Waters depuis des décennies), qui se lâche sur les refrains. Très jolies voix aussi de tout le monde sur les refrains en question, non vraiment rien à redire, chouette moment.
Waters se dit que c'est le moment de jouer un morceau de son dernier album: ce sera "Smell the roses", et bon ben, même constat que pour les précédents hein... Sorte de vague remix de "Have a cigar", vidéos inutilement anxiogènes derrière... Je passe.
C'est alors que les arpèges de "Brain damage" retentissent, morceau qui sera évidemment suivi de "Eclipse". Et alors là, je dis oui oui oui (copyright Julien Lepers). Parce que déjà l'interprétation est excellente, et surtout, au moment où "Eclipse" démarre, des lasers se mettent en route et reproduisent, en taille XXL, la fameuse pochette de Dark Side Of The Moon. Alors là, chapeau. C'est sublime, et on est (enfin?) transporté dans une dimension floydienne. Pas besoin d'images de guerre, de Trump, de réfugiés, toussa toussa. C'est juste splendide, et on en prend plein les mirettes et les oreilles.
Et c'est alors que survient le drame. Waters nous présente ses musiciens, jusque là tout va bien. Et après il se lance dans un discours de cinq bonnes minutes montre en main, qui a donné à peu près ceci (je vous le fais en français): "je suis content d'être en France mais vous savez... je soutiens la cause des Palestiniens, je soutiens le mouvement BDS, alors je vais peut-être être envoyé en prison! (mime un gars menotté). On doit normalement faire un concert à Paris, mais je ne sais pas si on va le faire, on verra (en français dans le texte). Ca va dépendre de ce que M.Macron va décider pour les Palestiniens, mais souvenez-vous de 1789!"...
Et donc ça cinq bonnes minutes montre en main.
Alors là, mon petit Roger, ça ne va plus du tout.
Que Waters soutienne la cause palestinienne, aucun problème, il choisit les causes qu'il veut, no soucaïe. Qu'il fasse partie du mouvement Boycott Désinvestissement Sanction (pour plus d'infos sur ce mouvement, voyez ici), ça le regarde aussi, il fait ce qu'il veut. Mais qu'il en vienne à énoncer des contre-vérités juridiques énormes, ça c'est plus ennuyeux. BDS n'est pas du tout interdit en France, ce sont simplement certains de ses partisans qui avaient été condamnés à la suite d'une action menée dans un hypermarché, la condamnation avait été fondée sur la problématique de la discrimination. Mais en aucun cas un quidam dans la rue qui se déclare sympathisant du BDS ne va se retrouver menotté et embarqué au poste. Donc là, Waters en fait beaucoup trop et se fourvoie juridiquement parlant.
Deuxième souci: je ne vois strictement aucun rapport entre 1789 et aujourd'hui, entre la Révolution Française et la position des autorités françaises sur le conflit au Moyen-Orient. Qu'est-ce que c'est que ces raccourcis historiques mon p'tit Roger, hein? Il n'y a rien de bien construit là-dedans, on est même à la limite du populisme de bas étage.
Mais le plus grave dans tout ça, c'est qu'à l'issue de ce discours sans queue ni (surtout) tête, les 14.000 spectateurs font un grand "OUUUAAAAAIIIISSSS", sans réfléchir plus que ça. Ah ben voilà pourquoi Waters n'a pas joué "Sheep", il en 14.000 sous le nez, pas besoin d'en rajouter! Cette scène complètement surréaliste m'a rappelé qu'en 1979, le bassiste d'un groupe de rock anglais avait imaginé une oeuvre tournant (notamment) autour de la manipulation des foules par un leader mégalomane... Mais je dois avoir l'esprit mal tourné...
C'est sur ce sentiment de malaise profond que Waters entonne un "Mother" en roue libre, avant le final traditionnel sur "Comfortably numb", avec bien sûr un solo de Kilminster (trop?) au millipoil et bien sûr des couleurs immondes sur les écrans. Des confettis avec "RESIST" inscrits dessus tombent du plafond. Tout le monde est content, youkaidi youkaida, et le concert se termine ainsi.
Sur tout le trajet du retour, j'étais quand même bien embêté. Est-ce qu'en vieillissant, je me rendrais compte que mes "idoles de jeunesse" sont beaucoup moins intéressantes que ce que j'imaginais? Où sont-ce ces mêmes idoles, vieillissantes, qui commencent à se prendre pour ce qu'elles ne sont pas? La mégalomanie a toujours peu ou prou fait partie de l'oeuvre de Waters, et sur le spectacle The Wall elle ne m'avait aucunement dérangé car faisant partie intégrante de l'histoire. Mais là, c'est beaucoup plus problématique. On a désormais l'impression que Waters ne fait plus de la musique que pour véhiculer un message politique. Sauf que cela le met en porte-à-faux sur beaucoup de points (les masques de cochons avec le champagne, franchement fallait oser...), voire l'amène à balancer des contre-vérités, ou en tout cas des points très largement discutables.
Alors oui bien sûr, le show est démesuré, il y a un gros cochon qui vole, y'a des lasers, y'a une usine qui nous fait coucou, c'est parfait musicalement, le son était fantastique (oui oui, alors qu'on était dans la Halle Tony Garnier, comme quoi hein, quand on sait y faire...), mais si c'est pour s'entendre asséner pendant plus de deux heures que la guerre c'est mal, que Trump est un porc, que la situation des réfugiés est dramatique et que le conflit israélo-palestinien c'est vachement compliqué, ben autant rester devant sa télé et économiser 100 €. Roger, si tu veux, lance-toi en politique, y'a pas de souci, mais quand tu fais de la musique, concentre-toi surtout sur cette dernière et pas sur le message que tu veux véhiculer, je pense que tout le monde a à y gagner!
Setlist:
Breathe (in the air)
One of these days
Time / Breathe (reprise)
The great gig in the sky
Welcome to the machine
Déjà vu
The last refugee
Picture that
Wish you were here
The happiest days of our lives
Another brick in the wall (Part 2)
Another brick in the wall (Part 3)
Dogs
Pigs (Three different ones)
Money
Us and them
Smell the roses
Brain damage
Eclipse
Rappel:
Mother
Comfortably numb
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