lundi 1 août 2016

Les disques à écouter une fois dans sa vie: The Stone Roses - "The Stone Roses"


I wanna be adored
She bangs the drums
Waterfall
Don't stop
Bye bye badman
Elizabeth my dear
(Song for my) Sugar spun sister
Made of stone
Shoot you down
This is the one
I am the resurrection

Paroles & musique: Ian Brown & John Squire

Production: John Leckie

Durée: 49:02

Date de parution: 2 mai 1989

Cinq ans. C'est en gros le temps qu'il aura fallu aux Stone Roses pour sortir ce premier album, en 1989. Entre-temps, il y eut des singles, des changements de personnels à la batterie puis à la basse, un premier album enregistré en 1985 mais que le groupe refusera de sortir, mécontent du résultat, et des singles prometteurs. "Elephant stone", "Sally Cinnamon"... On sentait qu'il y avait du potentiel. Mais rien qui puisse prédire cette déflagration de "l'album aux citrons", un des meilleurs premiers albums de l'histoire du rock, si ce n'est le meilleur (ça peut se jouer avec King Crimson, les Doors et Oasis notamment).

La formation s'articule donc autour de Ian Brown (chant), John Squire (guitares), Gary Mounfield alias Mani (basse) et Alan Wren, alias Reni (batterie). Durant les mois qui précèdent la sortie de l'album, Ian Brown fanfaronne dans les médias anglais: "nous n'allons pas être le meilleur groupe du monde, nous le sommes déjà"... Pas besoin de savoir auprès de qui Liam Gallagher a puisé son inspiration en terme de grande gueule et de déclarations fracassantes! Le phénomène "Madchester" bat son plein, avec tous ces groupes mélangeant rock et acid house, les Happy Mondays en étant jusque là la formation la plus représentative.

Et puis voilà que le 2 mai 1989 arrive. Et là, ça bascule. L'Angleterre entière succombe à cet album exceptionnel. Le groupe réussi l'exploit de réunir l'énergie et la rage punk de leurs débuts avec un sens de la mélodie et de l'arrangement hors du commun.

Ca commence par des sons crades, distordus, d'où émerge une ligne de basse lancinante. La guitare électrique joue des cascades d'arpèges derrière, avant de cisailler un riff rageur en même temps que la batterie débarque. Le charmé opère déjà. Et voici cette voix, à la fois douce, sournoise et pleine de morgue, qui nous parle: "Je n'ai pas à vendre mon âme / Il est déjà en moi / Je veux être adoré...". Voilà le texte de "I wanna be adored", déclaration d'intention parfaitement construite, avec notamment un relâchement avant l'explosion finale du plus bel effet. Les gars auraient pu nous faire dix reprises de Claude François derrière, on n'aurait rien trouvé à redire (enfin presque...)

"She bangs the drums" confirme cet excellent départ, avec un refrain harmonisé à deux voix comme on n'en faisait plus. Et puis voici "Waterfall". Et on comprend pourquoi le groupe a mis cinq ans à faire l'album. Parce que cette chanson, aux arpèges magiques, apparaît toute simple, alors qu'elle est en fait particulièrement complexe dans sa construction (l'outro instrumentale), dans ses arrangements... La cohésion des quatre musiciens est exceptionnelle.

Et ces quatre lascars nous la font au bluff derrière: "Don't stop", dont la musique n'est autre que celle de "Waterfall" mais...passée à l'envers. Certains se seraient cassé les dents à tenter un truc pareil, les Stone Roses en font quelque chose de psychédélique certes, mais totalement maîtrisé. Du très grand art.

On guette un coup de mou, on se dit que c'est pas possible, qu'ils vont bien faiblir à un moment donné. Ben tiens. "Bye bye badman" est elle aussi inattaquable. Interlude de 59 secondes en forme de clin d'oeil derrière avec "Elizabeth my dear", inspirée d'un traditionnel que Simon & Garfunkel avaient déjà adapté ("Scarborough fair"). Des punks oui, mais des connaisseurs.

"(Song for my) Sugar spun sister" est livrée avec refrain qui déboîte (et ce changement d'accord inattendu toujours aussi beau même après des centaines d'écoutes). Et que dire de "Made of stone"? Dans un monde parfait, ça aurait été un tube mondial, un truc qui aurait inondé les ondes. Entre la partition de batterie de Reni, le solo ahurissant de Squire, et ce refrain héroïque, aux paroles pourtant sombres ("Quand les rues sont froides et désertes / Et que les voitures brûlent à côté de moi"), c'est une chanson parfaite, ni plus ni moins.

"Shoot you down" et son mid-tempo fait presque figure de pause avant un final dantesque: "This is the one", totalement irrésistible (encore des arpèges millésimés en intro), et puis ce monstre final. "I am the resurrection". Il fallait quand même un sacré culot pour terminer un premier album par une chanson de plus de 8 minutes, dont un final instrumental de plus de 4 minutes, avec des paroles laissant penser que le chanteur se pose en sauveur du rock. Et pourtant ça fonctionne. Ian Brown chante de façon tellement convaincante que, oui, on l'imagine totalement en Jésus du rock. Et les trois autres tabassent tellement sur le final instrumental qu'on est subjugué. La légende dit qu'ils ont mis plusieurs semaines à écrire cette partie, mais que ce qu'on entend sur le disque provient d'une seule prise, Squire ayant simplement fait quelques re-recordings pour superposer les guitares. C'est dire le niveau de ces gars.

Et voilà, 50 minutes sont déjà passées, et on n'a pas compris comment. Un album brillantissime, exceptionnel, de bout en bout. Si le reste du monde, curieusement, était resté hermétique à ce disque, l'Angleterre y avait donc complètement succombé. Les Stone Roses terminaient ainsi leur tournée de 1990 par un immense concert de 30.000 personnes, et ce malgré les prestations vocales parfois hasardeuses de Brown. L'avenir leur appartenait.

Et puis tout a foiré.

Drogues, querelles d'ego, procès à rallonge avec la maison de disques, il faudra attendre fin 1994 pour que le deuxième album du groupe, Second Coming, paraisse. Plus inégal que le premier, et surtout, entre-temps, Oasis, Blur, Pulp, Suede, Supergrass, tout ce petit monde est arrivé et fait désormais passer les Stone Roses pour des has-been. Reni, puis John Squire quittent le navire pendant la tournée qui suit. Brown et Mani la finissent avec deux musiciens remplaçants, il est vaguement question que Slash remplace Squire (défense de rire) mais en 1996, c'est entériné, les Stone Roses disparaissent. Il faudra attendre 2012 pour qu'ils se reforment pour une tournée mondiale qui a fait chavirer les coeurs des fans qui attendaient ça depuis des années, puis 2016 pour que deux nouveaux morceaux voient le jour. Des morceaux bien gentillets, mais qui n'atteignent pas le petit orteil d'aucune des 11 bombes que contient The Stone Roses...

En guise de cadeau, le quatuor répétant "Waterfall" quelques semaines avant de remonter sur scène en 2012. Difficile à croire quand on les voit ainsi, souriants et détendus, qu'ils ont pu se déchirer pendant des années. Et pourtant, ce sont aussi ces quatre gars, aux personnalités certes opposées, mais à la complémentarité musicale assez unique, qui nous ont offert ce premier album hors du temps. Aux néophytes qui auraient envie d'écouter ce disque à l'issue de cette chronique, profitez bien de la première fois où vous allez l'écouter, grand moment en perspective...



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