lundi 10 décembre 2018

La petite chronique du jour: Michel Polnareff - Enfin!



Avant toute chose, il faut savoir que l'auteur de ces lignes est un grand fan de Polnareff. Je le considère en effet comme un musicien exceptionnel - on n'est pas premier prix de conservatoire de piano à onze ans et demi par hasard -, ayant écrit certaines des plus belles chansons françaises du 20ème siècle, et spécialiste dans l'art de prendre à contre-pied son public.

28 ans se sont donc écoulés depuis la sortie de son dernier album studio en date, Kâma-Sutra, et depuis, à part des best of, des live et une intégrale, sans parler de ses psychodrames familio-professionnels, on n'avait pas eu droit à grand-chose. Ou plutôt si, on avait eu droit à trois singles lorgnant entre le niais ("Je rêve d'un monde"), le plat ("L'homme en rouge") et l'affligeant ("Ophélie flagrant des lits"). Donc, c'était promis, les fans allaient être récompensés de leur attente, Enfin! allait être une tuerie, on allait voir ce qu'on allait voir.

Ce qu'on voit d'abord, c'est la pochette. Très, mais alors très très moche. Polnareff a souvent joué avec les limites du bon goût, mais là il les franchit allègrement. Bon, on se dit c'est qu'une pochette, allons-y, appuyons sur "play".

Premier titre, un instrumental de dix minutes et des brouettes, "Phantom". Alors certes, il y a le grand orchestre et tout le toutim, mais c'est lourd, terriblement lourd. Type orchestre de Thierry Le Luron. En plus, très curieusement, à 5'55, il y a une rupture complète d'ambiance, et on se retrouve dans la salle d'attente d'un sophrologue de Noeud-les-Mines. Pas convaincant du tout du tout. Pire encore, à partir de 8'16, une guitare électrique immonde surgit. Immonde car produisant un son hyper compressé, moche comme tout. Bref, une introduction de disque ratée.

"Sumi" ensuite. Dès le démarrage on frémit, la guitare de Van Halen compressée revient. Mais ça, c'est pas le pire. Le pire, c'est qu'on commence à entendre la voix de Polnareff. Et surtout ses textes. Et là c'est effarant. Il nous conte l'histoire de Sumi, "au cas où on irait à Fukuoka". Et alors c'est quoi cette histoire? Hé bien, c'est l'histoire de la geisha Sumi, "qui joue du koto" pendant que Polnareff "fait ses katas", et effectivement c'est la cata niveau paroles. "J'ai voulu lui faire du mal / J'ai voulu lui faire le mâle / Elle l'a pris très très très très mal / Alors j'ai voulu m'faire la malle (...) Sumi m'a soumis (...) Ma geisha m'a bridé (...) Ma geisha m'a saqué".

Argh.

Au moins, "Y'a qu'un ch'veu", "LNA HO" ou "Dans la rue" ne prétendaient pas non plus au prix  Nobel de littérature, mais avaient pour elles le mérite d'être des textes marrants. Là, c'est affligeant de nullité, comme si Carlos avait repris l'almanach Vermot en le parodiant. Niveau production, c'est totalement n'importe quoi: guitar hero mal mixé, cuivres de pacotille, harmonica qui n'a rien à faire là, c'est complètement anarchique et anachronique. Sans aucun doute un des pire morceaux de la carrière de Polnareff.

Petite remontée de pente ensuite avec "Grandis pas", écrite pour son fils Louka. Jolie ballade piano/voix, même si le texte est un peu faiblard, et les effets de voix un brin lourdingues. Mais bon, ça s'écoute.

Louka toujours avec le quasi instrumental "Louka's song". Ca swingue comme dans les années 70, mais plutôt dans le bon sens du terme, genre Bee Gees / Abba de la grande époque. Sauf que, de temps en temps, la voix de Louka vient nous vriller les tympans. Alors soyons clairs: je n'ai rien contre ce charmant bambin, mais là, c'est violent comme truc, car en une fraction de seconde on passe des Bee Gees à Jordy. C'est rude, et l'effet est complètement raté.

Polnareff avait prévenu: pour Enfin!, il avait réenregistré son "Ophélie flagrant des lits", et on allait voir, ça allait dépoter grave. Ah ben effectivement ça dépote. Avant on avait une chanson nulle, maintenant on a un truc qui ressemble même plus à une chanson. Ou plutôt si, ça ressemble à Joe Satriani & Kids United play Patrick Sébastien. C'est une horreur absolue, le son de guitare est à dégueuler, les voix juvéniles donnent des envies de meurtre et le texte n'a malheureusement pas changé et demeure d'une bêtise confondante.

On espère que l'album va redécoller avec "Longtime". Alors oui, il redécolle, enfin disons qu'il ne creuse plus dans les bas-fonds de l'inaudible. Sur ce morceau, Polnareff évoque avec humour (?) ses problèmes d'inspiration au niveau des textes: "J'trouve pas les mots pour cette chanson-là / J'ai trouvé que ça (...) / Chaque jour j'écris n'importe quoi / Des "je n'aime que toi" / Entendus des millions de fois...". Mouais. Niveau musique, ça sonne comme Polnareff pompant Goldman, que ce soit dans l'enchaînement d'accords typiquement goldmanien que dans la mélodie de la voix, qui rappelle souvent "Les derniers seront les premiers". Niveau production, c'est une nouvelle fois n'importe quoi, croisement improbable entre le générique de Capitaine Flam et le grand orchestre de Maritie et Gilbert Carpentier. Hé oui.

"Positions" est un morceau datant de 2007, que Polnareff avait joué lors de son grand retour sur scène. J'en n'avais pas gardé un souvenir impérissable, et cette nouvelle version a confirmé mes doutes. Polnareff lorgne du côté jazzy, mais il était autrement plus convaincant dans les années 70 avec des morceaux comme "Né dans un ice-cream". Là, la mayonnaise ne prend pas, avec une mélodie pas efficace, une production toujours grand-guignolesque (du banjo avec des cuivres et de l'orgue hammond, ça fait beaucoup), et un texte qui se veut subversif, mais Polnareff semble oublier qu'il n'a plus vingt ans... Il aurait chanté ce texte à l'époque de "L'amour avec toi", pourquoi pas, mais là ça commence à faire vieux satyre.

"Terre happy": tiens, nous revoilà chez le sophrologue de Noeud-les-Mines! Texte dégoulinant de bons sentiments et de jeux de mots vaseux, musique sans intérêt, arrangements idem. A oublier.

Tout comme Ophélie machin chose, "L'homme en rouge" ne sort pas grandi de sa réorchestration. Dommage car la mélodie en soi n'est pas mauvaise, mais la production sonne hyper datée et le texte est calamiteux.

"Dans ta playlist (C'est ta chanson)" fait carrément de la peine, on sent que Polnareff tente de nous refaire un nouveau "Goodbye Marylou", mais ça patine complètement dans la semoule, entre l'auto-tune à fond les ballons, et un texte d'une platitude affolante ("Ecoute-moi en boucle / Quand tu es en détresse / Mets-moi en repeat / Pour que ton coeur repalpite", ouille ouille ouille...).

L'album se termine par l'instrumental de plus de 9 minutes "Agua caliente", qui symbolise à lui seul les errements de ce disque. La mélodie est excellente, mais le son de guitare est une nouvelle fois de nature à faire saigner n'importe quelle paire d'oreilles normalement constituée.

Et c'est donc au bout de 66 minutes que l'auditeur épuisé se dit "enfin!". A trop vouloir jouer son personnage, Polnareff est malheureusement devenu une caricature de lui-même. Vivant comme un nabab sous le soleil californien depuis les années 70, il a enregistré un disque qu'un nabab californien aurait pu enregistrer en 1977. Sauf que 40 années se sont écoulées depuis, que Polnareff n'a visiblement écouté aucun disque sorti ces 30 dernières années, qu'il vit en autarcie complète et ne s'entoure que de gens ne bousculant pas ses petites habitudes. Et le résultat est tristement là: un disque pompeux, prétentieux, has-been, boursouflé de partout, avec seulement une ou deux bonnes idées par-ci par-là, et des paroles d'un niveau effroyable.

On pourrait penser que j'ai pris un malin plaisir à descendre en flammes cet album. Même pas. Avec des morceaux comme "Sous quelle étoile suis-je né?", "Qui a tué grand' maman?" ou l'instrumental "Voyages", il m'a fait rêver comme peu d'artistes français l'ont fait. Avec cet album, il me fait plutôt cauchemarder... Il aurait mieux valu qu'il ne le sorte pas et que le public reste sur l'impression de Kâma-Sutra, qui n'était peut-être pas un chef d'oeuvre, mais qui tenait autrement mieux la route. Là, soyons clairs, il est temps que Polnareff arrête. Et ce n'est pas l'interview donnée à France 2 le 2 décembre qui est de nature à rassurer tout le monde: le gars va à Las Vegas recruter ses musiciens pour sa future tournée (en gros ça va être parfait musicalement mais totalement aseptisé comme truc), il encense Poutine (ce qui, a minima, peut se discuter), et finit son entretien par une version en play-back mal synchronisé de "Grandis pas". C'est triste...

PS: je précise que je n'ai rien contre les sophrologues. Ni contre Noeud-les-Mines.

4 commentaires:

  1. ah ouais... Là t'envoies du lourd! Autant je ne pensais pas écouter cet album car pour moi, le meilleur de Polnareff est quand même très loin derrière lui, mais venant de toi, ce genre de critique veut tout dire. Chapeau l'artiste!

    RépondreSupprimer
  2. Il est absolument insupportable !😡
    Dans une interview récente, il declarait que Ophélie était la pire chanson de sa carrière, et elle est sur l album....
    Il prétend qu il a enregistré plusieurs albums d avance, mais quand on voit le niveau d Enfin !...
    Je pense qu il est complètement mytho, voire dérangé.👎

    RépondreSupprimer
  3. Triste en effet de voir l'amiral sombrer. Sa vie glucose à LA l'aura lentement aseptisé. Seule une réele mise en danger lors de son come back dans les annés 90 aurait pu le sauver du naufrage.

    RépondreSupprimer
  4. Une petite reprise de Polnareff au piano justement. Peut-être que ça vous plaira :-) https://youtu.be/FNd3oF9feZk

    RépondreSupprimer