Première date "fourvièresque" cette année avec cette affiche haute en couleurs progressives, puisqu'étaient réunis pour la première fois Magma et King Crimson, soit deux formations fêtant chacune leurs 50 ans cette année et ayant pour point commun la volonté d'exploser les canons musicaux traditionnels.
La soirée débute à 20h30 pétantes par l'arrivée sur scène du géant Christian Vander, qui s'installe derrière ses fûts, et qui est rejoint par un joueur de marimbas, un guitariste, un bassiste, un chanteur et deux chanteuses, dont la fidèle Stella Vander. Ils ont joué 1h15 pour...trois morceaux (si si), soient "Köhntarkösz" (30 minutes), "Mekanïk destruktïw kommandöh" (35 minutes) et enfin une ballade d'à peine 10 minutes, "Ehn deiss".
Bon, alors, je vais être honnête: le premier morceau, je n'ai pas du tout, mais alors pas du tout accroché. Alors certes, techniquement c'est hors normes. Vander est un batteur phénoménal, parvenant à alterner finesse et puissance, les chanteurs parviennent à chanter de façon dissonante volontairement, le joueur de marimbas en met de partout, quand le bassiste se met au slap ça défrise, il y a des changements de tempo et d'ambiance de partout, le tout sans aucune partition... Mais pour votre humble serviteur, ça manquait cruellement de mélodies. Tout était sinueux, compliqué, sans rien vraiment à quoi se raccrocher, ça en devenait presque fatigant. Sans parler du fait que chanter dans une langue inventée (le fameux kobaïen, sorte d'hybride entre l'allemand et le flamand, bref un truc bien bourrin), ça n'aide pas forcément à faire passer la pilule. Tout le monde (et heureusement!) n'était pas de cet avis, notamment un gars dans la fosse qui était littéralement en transe. Je ne sais pas à quoi il avait carburé avant le début du concert, mais ça avait l'air efficace.
Le deuxième morceau m'a davantage plu, notamment du fait que je le connaissais un peu, et qu'il y avait nettement plus de mélodies à se mettre sous la dent. Après, ça restait quand même hyper compliqué à suivre, j'avoue, même avec l'arrivée de cuivres.
La ballade "Ehn deiss", magnifiquement chantée par Vander lui-même, est venue apaiser tout le monde, et c'est ainsi que cette formation vraiment unique en son genre quitte la scène à 21h45.
A 21h50, on avait beau s'y attendre mais ça fait toujours son effet: les roadies amènent les trois batteries, qui seront donc au premier plan. Magnifique perspective de là où nous étions. Tout se met en place progressivement, avec un coup de flip pour le roadie de Robert Fripp, qui avait visiblement un problème avec la machinerie reliée à la gratte du chef. Et je n'avais jamais vu ça: le roadie tenait la guitare avec...un chiffon dans la main gauche, histoire de ne laisser aucune trace (transpiration ou reste de churros) sur l'instrument du maître. On sent déjà le degré d'exigence assez élevé du gars...
22h15: une annonce en français et en anglais nous indique qu'on n'a pas intérêt à photographier ou à filmer, sinon ça va chier. L'annonce se termine par un "let's have a party with King Crimson!" goguenard. Et c'est ainsi que les sept héros de la soirée arrivent sur scène, parfaitement sapés.
Trois batteurs donc: de gauche à droite Pat Mastelotto, Jeremy Stacey (la dernière fois que je l'avais vu c'était avec Noel Gallagher! Et hier il s'occupait du mellotron aussi...) et Gavin Harrison. Derrière eux, les surplombant légèrement: Mel Collins (instruments à vents + un peu de clavier), l'inévitable Tony Levin (basses en tous genres), Jakko Jakszyk (guitare + chant) et le chef de tout ce petit monde Robert Fripp (guitares + claviers), qui ressemble désormais à un prof de maths à la retraite s'adonnant à la radio amateur avec son casque vissé sur les oreilles.
Et ça démarre.
Et là, je me rends compte que je vais être très embêté pour poursuivre la description du concert. Parce que l'expression "il fallait y être" prend tout son sens.
Déjà, ils démarrent par "Larks' tongues in aspic (Part 1)", pas vraiment le morceau le plus simple, pour se mettre en jambes. Premier constat: le son est sublime. Un blu-ray, mais en plus fort. Un ravissement. Deuxième constat: les trois batteurs, c'est pas pour faire joli. Les trois se complètent à merveille, ça part dans tous les sens mais ça retombe sur ses pattes, c'est fascinant à regarder et à écouter. Troisième constat: c'est tellement fascinant à regarder qu'il n'y a strictement AUCUN jeu de lumières. Et pourtant ça ne dérange personne tellement la musique que ces sept gars nous proposent se suffit à elle-même.
"Neurotica" ensuite (avec Mel Collins qui nous joue un bout de "La Marseillaise" à la flûte traversière!), puis...roulement de tambour (au sens propre du terme): "Epitaph". You hou. Premier morceau culte de la soirée. C'est parfait de A à Z. Jakszyk chante à merveille, le mellotron envahit Fourvière, les batteurs sont d'une finesse et d'une précision exceptionnelles. Le tout est chirurgicalement exécuté, sans pour autant être dénué d'émotion, avec un son à tomber par terre (les arpèges de Jakszyk reproduisant parfaitement le son de ceux de 1969...). Le public en reste pantois, sauf mon voisin qui voulait filmer mais qui se fait rabrouer par la sécurité très vite.
L'excellente "Easy money", très rock (ce refrain!) et très jazz (ce pont!), enquille derrière. Encore une fois le son est un régal, on se répète mais c'était tellement bluffant...
"Indiscipline" ensuite. Egalement appelé "le morceau où j'ai rien compris". Fripp et Levin jouent un riff sur un certain rythme. Et pendant ce temps-là, les batteurs font... Bon, regardez la vidéo, vous comprendrez. Ben je vous garantis que quand vous voyez de vos propres yeux les gars faire ça, vous vous demandez s'ils sont bien faits comme nous. C'était totalement ahurissant, et en plus les trois batteurs s'amusaient franchement.
"Moonchild" ensuite, belle surprise! Je craignais un peu qu'ils nous reproduisent la version studio, qui comprend dans sa deuxième partie près de 10 minutes d'improvisation piano / cymbale totalement dénuée d'intérêt. Ben là pas du tout. Levin d'abord, Fripp ensuite (avec un son de guitare défiant l'entendement, sorte de croisement entre un harmonica et un violon, j'ai encore une fois rien compris), et Stacey enfin au piano, y allant chacun d'un petit solo.
Et d'un coup Stacey s'arrête brusquement. Il lève les yeux vers son acolyte Harrison. Je me dis qu'ils vont pas oser. Qu'ils vont pas faire comme sur le disque.
Ben si.
Harrison lève ses baguettes.
Tou-tou-tou-tou-mellotroooooooooooooooooooon. "In the court of the crimson king". Nom de t'cheu. Parfaitement exécutée évidemment, mais l'essentiel n'est pas là. Le morceau se termine, applaudissements nourris. Sauf que... Harrison nous fait un petit tchi-tchi-tchi-tchi à la cymbale. Hé oui, ils nous jouent la fameuse coda de ce morceau (la reprise instrumentale du refrain plusieurs fois), chose qu'ils ne font pas du tout à tous les concerts, loin de là. Et là, le public se met à murmurer la mélodie du refrain. Sauf que 4.500 personnes qui murmurent, ça fait du bruit. C'était THE moment du concert. Pendant que Stacey reprenait tout doucement le thème au clavier, le public faisait "mmmmmmm" en même temps. On se serait cru dans les choeurs de l'armée rouge le temps d'une vingtaine de secondes, avant que tous les instruments ne rentrent de nouveau. La syncope était proche devant tant de beauté.
Après un tel moment, ils auraient pu jouer l'intégrale de Bézu que ça m'aurait convenu, mais non, ils vont nous achever avec l'enchaînement "Radical action II" / "Level five", avant que les premières notes de "Starless" ne résonnent.
Le silence se fait, perturbé uniquement par le plic-ploc de la pluie qui commence à tomber, mais qui heureusement va s'arrêter très vite. Cela va donner lieu à une scène extraordinaire: pendant le passage sombre du milieu de la chanson, on voyait au-dessus de la plaine de l'Ain des éclairs zébrer le ciel silencieusement. Donc en plus, Fripp sait maîtriser les éléments. Décidément, il sait tout faire cet homme. Bien évidemment le morceau est sublime, parfaitement exécuté, bluffant, immense, divin, j'ai perdu le dictionnaire des synonymes je suis un peu à court, mais vous comprenez l'idée. A noter qu'il y aura sur le pont le seul changement de lumières de la soirée, ces dernières rougeoyant lentement mais sûrement.
Ils quittent la scène pour très peu de temps, et losrqu'ils reviennent, un souffle de locomotive ahanante se fait entendre. Blam, "21st century schizoid man" nous est asséné, avec riff assassin, voix déformée comme sur l'originale, et solo de batterie démentiel de Harrison. C'est renversant.
Ils quittent définitivement la scène après 1h40 de concert. Un set plus court que leurs sets habituels, mais il faut dire qu'on avait eu 1h15 de Magma avant, qu'il était 23h55, et qu'à Fourvière il faut tout couper à minuit à cause du voisinage. Et puis leur setlist était un tel condensé de ce qu'ils savaient faire qu'il n'y avait rien à redire. Ils avaient l'air tout content, Levin nous a pris en photo, Fripp est reparti avec un coussin qui avait été jeté sur scène, bref tout le monde était heureux.
Clairement, c'était un concert comme on n'en voit pas deux dans une vie. Dans mon top 3 de mes concerts, ou même plutôt hors classement tellement un concert de King Crimson est davantage une performance jusqu'au-boutiste plutôt qu'un concert au sens traditionnel du terme. Ce groupe est déjà hors norme sur disque, mais alors sur scène, c'est carrément une autre dimension. Une claque phénoménale.
Set-list:
Larks tongues in aspic (Part 1)
Neurotica
Epitaph
Easy money
Indiscipline
Moonchild
In the court of the crimson king
Radical action II
Level five
Starless
Rappel:
21st century schizoid man
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