dimanche 6 novembre 2016

Les disques à écouter une fois dans sa vie: Depeche Mode - Violator


World in my eyes
Sweetest perfection
Personal Jesus
Halo
Waiting for the night
Enjoy the silence
Policy of truth
Blue dress
Clean

Paroles & musique: Martin Gore

Production: Depeche Mode & Flood

Durée: 47:02

Date de parution: 19 mars 1990

La mue avait été lente et progressive. Depeche Mode avait commencé comme un groupe type boys band au début des années 80, avec des titres dansants et arrangés de façon assez cheap, "Just can't get enough" en étant le symbole. Puis Vince Clarke, compositeur quasi exclusif du premier album du groupe (Speak & Spell) quitte le navire, Alan Wilder arrive et Martin Gore prend le relais au niveau compositions. Et l'évolution se fait, morceau après morceau, album après album. Même si des cohortes de jeunes filles continuent de s'intéresser davantage au physique des membres du groupe qu'à leurs compositions, celle-ci changent progressivement d'orientation. Des tubes dansants du début, on arrive à des chansons plus sombres, plus travaillées, avec des accords mineurs qui viennent ajouter de la tristesse et de la mélancolie à des rythmes toujours assez sautillants. Les morceaux "Everything counts" et surtout "Shake the disease" en sont ainsi les preuves les plus éclatantes.

Et puis deux albums coup sur coup vont venir enfoncer le clou: Black Celebration (1986) d'abord, qui annonce dès son titre la couleur, et qui contient une palanquée de morceaux de grande classe ("Black celebration", "A question of time" et "Stripped" pour ne citer qu'eux). Music For The Masses l'année suivante ensuite, album quasi parfait, qui contient certains des titres les plus connus et les plus réussis du groupe ("Never let me down again" et "Behind the wheel" notamment), et qui aborde des sujets pas franchement comiques (la drogue entre autres). La tournée suivante est triomphale (cf. le film 101 et la version hallucinante de "Never let me down again") mais laisse le groupe lessivé. Il faudra attendre trois ans pour voir un nouvel album arriver, mais c'est peu dire que l'attente en valait la peine.

Pour l'élaboration de ce disque, la répartition des rôles va être la suivante, en caricaturant bien évidemment à l'extrême: Martin Gore va se charger des compositions, avec des demos très dépouillées (cf. celle de "Enjoy the silence" qui se trouve sur YouTube), Alan Wilder s'occupera avec le producteur Flood du gros des arrangements, Dave Gahan posera sa voix là-dessus, et Andy Fletcher va...ben...va faire semblant de jouer du synthé sur scène et s'occuper de la caisse (on schématise mais c'est un peu ça, d'ailleurs c'est toujours ça 25 ans après). En précisant que Gore commençait tout doucement à avoir un penchant problématique pour la bouteille et que Gahan commençait de son côté à confondre sucre en poudre et substances illicites... Bref, l'énorme succès de la précédente tournée n'avait pas eu que des répercussions positives.

L'album s'ouvre par "World in my eyes", et dès les toutes premières secondes, on est saisi par l'énorme évolution du son du groupe depuis l'album précédent. Si Music For The Masses était déjà bien arrangé, il souffrait d'un manque d'amplitude du son, on avait un peu l'impression que le groupe jouait au fond d'une boîte à chaussures. Là, c'est tout l'inverse. Le son tournoie, il y a des petites trouvailles sonores qui jaillissent de partout, le gimmick de synthé fait dodeliner de la tête juste ce qu'il faut, et Gahan est impérial par là-dessus. Une entrée en matière de toute beauté.

"Sweetest perfection" lorgne davantage du côté du mid-tempo, avec un rythme infernal, tout en à-coups, et une très belle mélodie. L'occasion de rappeler combien Martin Gore est un mélodiste doué, quand bien même le son de Depeche Mode se caractérise par un côté synthétique/industriel.

Et puis arrive la première grosse baffe du disque. "Personal Jesus" et son riff de guitare bluesy, futur grand classique du groupe et énorme tube mondial, qui fut même repris par Johnny Cash himself. Tout y est dans ce morceau: riff imparable, rythmique dantesque (la reprise avec les halètements est un coup de génie), paroles à faire soulever les stades ("reach out and touch faith!"), bref c'est du très lourd. A noter que la version diffusée en radio diffère sensiblement de la version album, puisque toute la dernière minute est modifiée. Si le single se "contente" de faire durer le "reach out and touch faith", la version album offre un final démentiel, quasiment 100% instrumental, avec des loopings sonores extraordinaires, une utilisation maximale de la stéréo, et des coups de boutoirs rythmiques hyper puissants. La preuve aussi que Martin Gore est aussi un guitariste, certes limité (il recyclera le riff en question sur bon nombre de morceaux: "I feel you", "Dream on", "Goodbye"...), mais qui assume ses inspirations blues.

"Halo" fait presque pâle figure après cette gifle, alors qu'il s'agit d'un très bon morceau, là encore très travaillé niveau production, avec une voix de Gahan encore parfaite.

Et puis voilà qu'arrive LE joyau du disque. "Waiting for the night" (initialement intitulée "Waiting for the night to fall", mais il y a eu erreur d'impression!). Ballade déchirante, portée par des arrangements quasi "aquatiques" (on se croit en immersion dès l'intro), des paroles faussement apaisantes, des voix qui se répondent et s'entremêlent... C'est clair que le groupe a dû passer de solides heures à arranger cette chanson, mais le résultat est exceptionnel... Et alors même que les derniers choeurs s'évanouissent, voici que retentit l'intro reconnaissable entre mille d'"Enjoy the silence".

De la ballade acoustique initialement écrite par Gore, on arrive à un morceau certes rythmé, voire dansant, mais aussi sombre, avec des accords mineurs de partout, des paroles pas franchement à se taper les fesses par terre ("Les mots sont particulièrement inutiles / Ils ne peuvent que causer du mal"). Le résultat donne une alchimie parfaite, et le plus gros tube de toute la carrière de Depeche Mode. En plus de cela, le clip, dans lequel Dave Gahan erre en tenue de roi dans des paysages vides de tout autre occupant, est lui aussi une réussite totale. Les innombrables passages radio n'y font rien: "Enjoy the silence" est un véritable classique de la musique pop-rock, et qui va rameuter de nouveaux adeptes à la galaxie Depeche Mode.

Le morceau se termine avec un "intermède caché" (en tout cas non mentionné sur la pochette), "Crucified", avec la voix de Martin Gore complètement déformée. Ce petit interlude de moins de 2 minutes aboutit à l'intro de "Policy of truth". Et là, on se demande où ils vont s'arrêter. Le petit riff de synthé est une nouvelle fois complètement imparable, les paroles sont brillantes - Gore prévient l'auditeur qu'il verra ses problèmes se multiplier s'il s'évertue à rechercher uniquement la vérité - et contiennent encore une fois une affirmation qui claque (""Never again" is what you swore the time before"). Encore une réussite totale.

Martin Gore s'empare ensuite du micro et interprète la mélancolique "Blue dress", portée par une jolie mélodie et, une énième fois, des arrangements splendides, avec notamment en fin de mesure ce son évoquant la porte d'un sous-marin se refermant. Passé un nouveau petit interlude caché, "Clean" vient conclure l'album de façon bien sombre, avec une intro décalquant au passage celle du "One of these days" de Pink Floyd. C'est donc sur cette note lugubre que se referme Violator, qui montre un groupe véritablement au sommet de son art et de sa créativité. Si, incontestablement, les Depeche Mode publieront par la suite de très bons morceaux, voire de très bons albums (Ultra notamment), il est difficile de ne pas voir dans la doublette Music For The Masses / Violator ce que ce groupe a publié de mieux.

En cadeau, la version originale de "Personal Jesus", avec ce final apocalyptique (à partir de 3'22) que le groupe a jugé risqué pour les passages en radio, d'où une version single édulcorée.




1 commentaire:

  1. Un de mes disques si ce n'est mon disque favori. Voilà un lien vers la version acoustique de Clean. Quand on sait que Gahan était dans la poudre jusqu'aux yeux à cette époque, la version clean est encore plus parlante: https://www.youtube.com/watch?v=kIVPCRK8rkg

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