School
Bloody well right
Hide in your shell
Asylum
Dreamer
Rudy
If everyone was listening
Crime of the century
Paroles & musique: Rick Davies & Roger Hodgson.
Production: Ken Scott & Supertramp.
Durée: 44'10
Date de parution: 13 septembre 1974
Parfois, les histoires autour de la conception d'un album de référence sont tellement incroyables qu'on jurerait qu'elles ont été scénarisées à l'avance. Et pourtant...
En 1974, Supertramp a déjà deux albums à son actif (Supertramp en 1970 et Indelibly Stamped en 1971), qui se sont royalement planté dans les charts. Le groupe est emmené principalement par deux hommes, Rick Davies (piano + voix) et Roger Hodgson (guitares + claviers + voix), aussi différents que complémentaires (en tout cas pour l'instant...). Un généreux mécène, Stanley August Miesagaes (surnommé Sam compte tenu de ses initiales), est convaincu du potentiel du groupe et soutient financièrement ce dernier, notamment en leur payant des instruments et des heures en studio.
Sauf qu'après l'échec des deux premiers albums, des décisions sont à prendre. Certains membres du groupe partent d'eux-mêmes, d'autres sont congédiés par Davies et Hodgson, qui entreprennent de trouver de nouvelles recrues pour remonter une formation cohérente. De son côté, "Sam" commence à être un peu à court de liquidités et ne peut plus se permettre d'aider ses poulains, leur laissant quand même les instruments offerts.
Davies et Hodgson vont donc aller recruter des nouveaux musiciens, et là va résider la première grande qualité du futur album, à savoir qu'on va être en présence d'une formation hyper cohérente. Vont donc rejoindre Supertramp:
- Bob Siebenberg à la batterie. Un batteur précis, clair, discret, sobre, mais d'une efficacité redoutable, sachant parfaitement où et quand se placer. Son jeu peut rappeler celui de Nick Mason (Pink Floyd), à savoir pas de fioritures, de roulements de toms partout, mais une précision diabolique.
- Dougie Thomson à la basse. Là encore un musicien très précis, mais aussi très inventif, tricotant des lignes de basse particulièrement mélodiques, sans non plus jouer 120 notes à la seconde.
- et enfin John Helliwell aux instruments à vent (principalement le saxophone), aux choeurs, et aussi aux claviers sur scène. Un musicien hors pair, et surtout une personnalité avenante, joviale, qui va au fil du temps se transformer en "monsieur loyal" sur scène, dialoguant et blaguant avec le public, offrant en ce sens un contraste assez frappant avec Davies.
C'est donc ce quintet qui va entrer en studio pour enregistrer ce, n'ayons pas peur des mots, chef d'oeuvre qu'est Crime Of The Century. Deux ans se sont écoulés depuis la sortie de l'album précédent, et Hodgson et Davies n'ont cessé pendant ce temps de composer. Le résultat fait que le groupe se retrouve en présence de dizaines de morceaux déjà bien élaborés; les cinq vont en choisir huit, laissant de côté un matériel tellement riche qu'il va fournir l'essentiel des morceaux des quatre futurs albums (des choses comme "Give a little bit" ou "Breakfast in America" étaient déjà écrites en 1973...).
Supertramp et leur producteur Ken Scott vont donc passer un temps énorme pour l'époque - cinq mois! - et pour un groupe finalement peu connu à finaliser et enregistrer ces huit morceaux. A l'instar du tandem Lennon-McCartney, le duo Davies-Hodgson choisit de cosigner l'ensemble des titres, alors même que seuls deux d'entre eux - "School" et "Crime of the century", qui ouvrent et referment l'album - ont véritablement été écrits à quatre mains. Hodgson s'en mordra les doigts lorsqu'il quittera le groupe mais ceci est encore une autre histoire...
L'album s'ouvre donc sur "School". D'emblée, l'harmonica tendance "Il était une fois dans l'Ouest" instaure le climat de l'album: on va pas se marrer. Hodgson chante l'aliénation des enfants par le système éducatif anglais pendant deux couplets, puis un premier break instrumental arrive. Et c'est là où on se rend compte de la cohésion des cinq musiciens. Ce petit passage n'a l'air de rien, mais il est millimétré, avec un duo guitare/saxophone du plus bel effet. Le rythme s'intensifie avant de basculer sur un solo de piano de Davies démentiel. Ca swingue en diable, et sur le deuxième tour du solo, écoutez la ligne de basse de Dougie Thomson: on croirait entendre McCartney période Sgt Pepper, la basse fait du trampoline mélodique, c'est bluffant. Un duo voix Davies/Hodgson surgit, avant que Hodgson ne chante un dernier couplet, avec une wah-wah agressive derrière. En un peu plus de 5 minutes, Supertramp vient de faire un bond qualitatif prodigieux: impossible de reconnaître avec "School" le groupe qui offrait une musique certes bien sympathique mais un peu tiédasse encore trois ans auparavant. Pas de doute, le travail paie...
"Bloody well right", futur classique live, suit derrière, avec son intro jazzy typique du style de Rick Davies, avant des couplets franchement rock, avec accords rageurs et guitare électrique bien agressive. La première phrase fait directement écho à "School" qui vient de s'achever ("So you think you're schooling phoney"), ce qui montre bien le souci de Supertramp de livrer un album cohérent. Le refrain est en revanche très blues-jazz, avec les réponses vocales de Helliwell et consorts qiu feront un malheur sur scène, avant un final instrumental comme Davies les affectionne.
Hodgson chante "Hide in your shell" ensuite. On peut légitimement tiquer sur les paroles hippisantes, voire limite neuneus, en mode "c'est l'amour qui nous sauvera tous, aimons-nous tous , youkaïdi youkaïda". En même temps, quand on voit le mode de vie observé et les paroles écrites par Hodgson dans les années qui suivront, on se rend compte qu'il y croyait vraiment à son truc. Ceci étant, la mélodie du refrain est splendide, les arrangements instrumentaux de grande classe, et on peut remarquer le superbe jeu de batterie de Bob Siebenberg. Pas forcément difficile techniquement, mais d'une très grande fluidité.
Après un morceau d'Hodgson, on a...un morceau de Davies, c'est bien vous suivez. C'est "Asylum", pas forcément accessible à la première écoute, mais qui révèle sa puissance sur la durée. Davies se montre virtuose, sans non plus en faire des caisses (on n'a pas de solo de piano de 10 minutes), et on entend que les gars ont passé un sacré bout de temps sur les arrangements de cordes. Parce qu'il y en a de partout, et c'est pas du simple. Difficile de symboliser une chute avec des violons, et pourtant le groupe y parvient parfaitement.
Fin de la face A, nous retournons le vinyle, et là paf, une intro au Kurzweil reconnaissable entre dix mille surgit. Une voix très (trop pour certains) haut perchée se met à chanter: "Dreamer, you're nothing but a dreamer...". Hé oui, voici LE tube de l'album, et pourtant pas du tout son meilleur morceau - voire même peut-être son moins bon, c'est dire le niveau du reste. Une nouvelle fois, le travail et l'inventivité du quintet font merveille, avec plein de trouvailles sonores, sans parler d'une originalité certaine dans la composition. Les musiciens ne me contrediront sans doute pas, c'est assez rare qu'on ait une chanson en tonalité de ré majeur qui s'offre un refrain en la bémol, accord qui ne rentre pas du tout dans la gamme de ré. On a vraiment l'impression qu'Hodgson a en réalité collé deux bouts de chansons l'un avec l'autre et en a tiré le premier tube de la carrière de Supertramp. On remarquera un nouveau duel de voix entre les deux leaders, toujours un gage de dynamisme. Et pour l'anecdote, le groupe a passé des heures sur ce morceau avant de se rendre compte que la version qui sonnait le mieux était...la demo de Hodgson bricolée chez lui! La version finale du morceau emprunte donc beaucoup à sa première ébauche, ce qui est assez rare.
Davies livre ensuite SON morceau de bravoure: "Rudy, ses plus de 7 minutes au compteur, ses changements de rythme, son nouveau duel de voix sur la fin (quand la voix de Hodgson surgit, et que Davies semble lui répondre vertement, le tout sur fond de wah-wah en folie, c'est du très lourd), ses parties instrumentales... C'est de la haute voltige musicale, qui sera d'ailleurs un grand classique de leur répertoire sur scène, avec très souvent en toile de fond la caméra subjective d'un train lancé à pleine vitesse.
S'ensuit "If erveryone was listening". Coincée entre deux morceaux monstrueux, cette chanson mérite pourtant d'être redécouverte, car il s'agit certainement de l'une des plus belles signées par Hodgson. Le refrain est lumineux, avec cette dernière phrase empreinte de tristesse ("Don't let the curtain fall..." et ces quelques notes de piano qui s'égrènent...). Les paroles traitent une nouvelle fois du manque de communication entre les hommes, mais avec plus de subtilité que sur "Hide in your shell".
Après cela, le clou du spectacle. "Crime of the century". Ecrite à quatre mains, elle a nécessité des semaines de boulot à Davies et Hodgson, qui n'ont pas arrêté de la retravailler pour aboutir à ce résultat pharaonique. Les deux premières minutes posent des bases solides, en se terminant par un passage instrumental où le saxophone et la guitare s'entremêlent à la perfection. Et puis... et puis une seconde de blanc avant que Davies ne joue ce thème génialement simple au piano, mais qui se révèle d'une puissance exceptionnelle. Pourtant, on est sur du basique: la mineur / fa majeur, on a vu plus complexe comme enchaînement. Mais là, la magie opère. Siebenberg et Thomson rentrent ensuite, avec des gros coups de toms et une basse qui rentre au ralenti. Puis tout le groupe, rehaussé par l'apport de cordes, finit ensemble, Helliwell faisant pleurer son saxophone, les violons semblant happés par le néant à la toute fin...
Mais écoutez bien la toute fin... Qu'entend-on, au moment où les dernières notes s'évanouissent? Mais oui, l'intro de "School" à l'harmonica! Comme si la boucle se bouclait indéfiniment... C'est grand. Ce qui est tout aussi grand, c'est l'artwork de la pochette, avec ces deux mains agrippant une grille perdue dans l'espace... Très beau clin d'oeil aussi du groupe au verso de la pochette, avec la dédicace "To Sam". Ils savaient ce qu'ils devaient à leur généreux mécène...
On peut aussi s'amuser à noter le grand nombre de points communs entre Crime Of The Century et Dark Side Of The Moon, sorti quelques mois auparavant. Même pochette aux teintes sombres qui frappe l'esprit, mêmes thèmes abordés (la folie, la solitude, l'école, la société contemporaine aliénante de façon générale...), même construction avec l'album qui se termine de la même façon qu'il débute (ce sont les battements cardiaques chez Pink Floyd), bref la filiation, même inconsciente, est assez nette. Cela n'empêche pas Crime Of The Century d'être un disque absolument remarquable de bout en bout, construit de façon magistrale. Les huit titres s'enchaînent de façon tellement cohérente qu'on n'a absolument pas l'impression que trois quarts d'heure viennent de s'écouler.
L'album se vendra très bien, et permettra à Supertramp de poursuivre sa carrière telle qu'on la connaît. Sous cette formation, le groupe publiera quatre autres albums: deux pas mal (Crisis? What Crisis?, enregistré un peu trop vite après Crime Of The Century, et Famous Last Words, dernier disque enregistré par le quintet et qui annonce très clairement la séparation à venir), un très bon (Even In The Quietest Moments), et un qui tangente le qualificatif de chef d'oeuvre (Breakfast In America, véritable usine à tubes). Mais, et c'est suffisamment rare pour être souligné, les cinq membres de Supertramp ont toujours été d'accord sur un point: ce qu'ils ont fait de meilleur, c'est Crime Of The Century.
En guise de bonus, le management de Supertramp ne laissant rien filtrer sur YouTube, je me contenterais de vous conseiller la lecture de l'ouvrage Supertramp: la bio ultime parue en 2015, écrite par Fabrice Bellengier, et qui constitue une mine d'informations incalculable pour tout fan de Supertramp qui se respecte. A lire absolument!
Sauf qu'après l'échec des deux premiers albums, des décisions sont à prendre. Certains membres du groupe partent d'eux-mêmes, d'autres sont congédiés par Davies et Hodgson, qui entreprennent de trouver de nouvelles recrues pour remonter une formation cohérente. De son côté, "Sam" commence à être un peu à court de liquidités et ne peut plus se permettre d'aider ses poulains, leur laissant quand même les instruments offerts.
Davies et Hodgson vont donc aller recruter des nouveaux musiciens, et là va résider la première grande qualité du futur album, à savoir qu'on va être en présence d'une formation hyper cohérente. Vont donc rejoindre Supertramp:
- Bob Siebenberg à la batterie. Un batteur précis, clair, discret, sobre, mais d'une efficacité redoutable, sachant parfaitement où et quand se placer. Son jeu peut rappeler celui de Nick Mason (Pink Floyd), à savoir pas de fioritures, de roulements de toms partout, mais une précision diabolique.
- Dougie Thomson à la basse. Là encore un musicien très précis, mais aussi très inventif, tricotant des lignes de basse particulièrement mélodiques, sans non plus jouer 120 notes à la seconde.
- et enfin John Helliwell aux instruments à vent (principalement le saxophone), aux choeurs, et aussi aux claviers sur scène. Un musicien hors pair, et surtout une personnalité avenante, joviale, qui va au fil du temps se transformer en "monsieur loyal" sur scène, dialoguant et blaguant avec le public, offrant en ce sens un contraste assez frappant avec Davies.
C'est donc ce quintet qui va entrer en studio pour enregistrer ce, n'ayons pas peur des mots, chef d'oeuvre qu'est Crime Of The Century. Deux ans se sont écoulés depuis la sortie de l'album précédent, et Hodgson et Davies n'ont cessé pendant ce temps de composer. Le résultat fait que le groupe se retrouve en présence de dizaines de morceaux déjà bien élaborés; les cinq vont en choisir huit, laissant de côté un matériel tellement riche qu'il va fournir l'essentiel des morceaux des quatre futurs albums (des choses comme "Give a little bit" ou "Breakfast in America" étaient déjà écrites en 1973...).
Supertramp et leur producteur Ken Scott vont donc passer un temps énorme pour l'époque - cinq mois! - et pour un groupe finalement peu connu à finaliser et enregistrer ces huit morceaux. A l'instar du tandem Lennon-McCartney, le duo Davies-Hodgson choisit de cosigner l'ensemble des titres, alors même que seuls deux d'entre eux - "School" et "Crime of the century", qui ouvrent et referment l'album - ont véritablement été écrits à quatre mains. Hodgson s'en mordra les doigts lorsqu'il quittera le groupe mais ceci est encore une autre histoire...
L'album s'ouvre donc sur "School". D'emblée, l'harmonica tendance "Il était une fois dans l'Ouest" instaure le climat de l'album: on va pas se marrer. Hodgson chante l'aliénation des enfants par le système éducatif anglais pendant deux couplets, puis un premier break instrumental arrive. Et c'est là où on se rend compte de la cohésion des cinq musiciens. Ce petit passage n'a l'air de rien, mais il est millimétré, avec un duo guitare/saxophone du plus bel effet. Le rythme s'intensifie avant de basculer sur un solo de piano de Davies démentiel. Ca swingue en diable, et sur le deuxième tour du solo, écoutez la ligne de basse de Dougie Thomson: on croirait entendre McCartney période Sgt Pepper, la basse fait du trampoline mélodique, c'est bluffant. Un duo voix Davies/Hodgson surgit, avant que Hodgson ne chante un dernier couplet, avec une wah-wah agressive derrière. En un peu plus de 5 minutes, Supertramp vient de faire un bond qualitatif prodigieux: impossible de reconnaître avec "School" le groupe qui offrait une musique certes bien sympathique mais un peu tiédasse encore trois ans auparavant. Pas de doute, le travail paie...
"Bloody well right", futur classique live, suit derrière, avec son intro jazzy typique du style de Rick Davies, avant des couplets franchement rock, avec accords rageurs et guitare électrique bien agressive. La première phrase fait directement écho à "School" qui vient de s'achever ("So you think you're schooling phoney"), ce qui montre bien le souci de Supertramp de livrer un album cohérent. Le refrain est en revanche très blues-jazz, avec les réponses vocales de Helliwell et consorts qiu feront un malheur sur scène, avant un final instrumental comme Davies les affectionne.
Hodgson chante "Hide in your shell" ensuite. On peut légitimement tiquer sur les paroles hippisantes, voire limite neuneus, en mode "c'est l'amour qui nous sauvera tous, aimons-nous tous , youkaïdi youkaïda". En même temps, quand on voit le mode de vie observé et les paroles écrites par Hodgson dans les années qui suivront, on se rend compte qu'il y croyait vraiment à son truc. Ceci étant, la mélodie du refrain est splendide, les arrangements instrumentaux de grande classe, et on peut remarquer le superbe jeu de batterie de Bob Siebenberg. Pas forcément difficile techniquement, mais d'une très grande fluidité.
Après un morceau d'Hodgson, on a...un morceau de Davies, c'est bien vous suivez. C'est "Asylum", pas forcément accessible à la première écoute, mais qui révèle sa puissance sur la durée. Davies se montre virtuose, sans non plus en faire des caisses (on n'a pas de solo de piano de 10 minutes), et on entend que les gars ont passé un sacré bout de temps sur les arrangements de cordes. Parce qu'il y en a de partout, et c'est pas du simple. Difficile de symboliser une chute avec des violons, et pourtant le groupe y parvient parfaitement.
Fin de la face A, nous retournons le vinyle, et là paf, une intro au Kurzweil reconnaissable entre dix mille surgit. Une voix très (trop pour certains) haut perchée se met à chanter: "Dreamer, you're nothing but a dreamer...". Hé oui, voici LE tube de l'album, et pourtant pas du tout son meilleur morceau - voire même peut-être son moins bon, c'est dire le niveau du reste. Une nouvelle fois, le travail et l'inventivité du quintet font merveille, avec plein de trouvailles sonores, sans parler d'une originalité certaine dans la composition. Les musiciens ne me contrediront sans doute pas, c'est assez rare qu'on ait une chanson en tonalité de ré majeur qui s'offre un refrain en la bémol, accord qui ne rentre pas du tout dans la gamme de ré. On a vraiment l'impression qu'Hodgson a en réalité collé deux bouts de chansons l'un avec l'autre et en a tiré le premier tube de la carrière de Supertramp. On remarquera un nouveau duel de voix entre les deux leaders, toujours un gage de dynamisme. Et pour l'anecdote, le groupe a passé des heures sur ce morceau avant de se rendre compte que la version qui sonnait le mieux était...la demo de Hodgson bricolée chez lui! La version finale du morceau emprunte donc beaucoup à sa première ébauche, ce qui est assez rare.
Davies livre ensuite SON morceau de bravoure: "Rudy, ses plus de 7 minutes au compteur, ses changements de rythme, son nouveau duel de voix sur la fin (quand la voix de Hodgson surgit, et que Davies semble lui répondre vertement, le tout sur fond de wah-wah en folie, c'est du très lourd), ses parties instrumentales... C'est de la haute voltige musicale, qui sera d'ailleurs un grand classique de leur répertoire sur scène, avec très souvent en toile de fond la caméra subjective d'un train lancé à pleine vitesse.
S'ensuit "If erveryone was listening". Coincée entre deux morceaux monstrueux, cette chanson mérite pourtant d'être redécouverte, car il s'agit certainement de l'une des plus belles signées par Hodgson. Le refrain est lumineux, avec cette dernière phrase empreinte de tristesse ("Don't let the curtain fall..." et ces quelques notes de piano qui s'égrènent...). Les paroles traitent une nouvelle fois du manque de communication entre les hommes, mais avec plus de subtilité que sur "Hide in your shell".
Après cela, le clou du spectacle. "Crime of the century". Ecrite à quatre mains, elle a nécessité des semaines de boulot à Davies et Hodgson, qui n'ont pas arrêté de la retravailler pour aboutir à ce résultat pharaonique. Les deux premières minutes posent des bases solides, en se terminant par un passage instrumental où le saxophone et la guitare s'entremêlent à la perfection. Et puis... et puis une seconde de blanc avant que Davies ne joue ce thème génialement simple au piano, mais qui se révèle d'une puissance exceptionnelle. Pourtant, on est sur du basique: la mineur / fa majeur, on a vu plus complexe comme enchaînement. Mais là, la magie opère. Siebenberg et Thomson rentrent ensuite, avec des gros coups de toms et une basse qui rentre au ralenti. Puis tout le groupe, rehaussé par l'apport de cordes, finit ensemble, Helliwell faisant pleurer son saxophone, les violons semblant happés par le néant à la toute fin...
Mais écoutez bien la toute fin... Qu'entend-on, au moment où les dernières notes s'évanouissent? Mais oui, l'intro de "School" à l'harmonica! Comme si la boucle se bouclait indéfiniment... C'est grand. Ce qui est tout aussi grand, c'est l'artwork de la pochette, avec ces deux mains agrippant une grille perdue dans l'espace... Très beau clin d'oeil aussi du groupe au verso de la pochette, avec la dédicace "To Sam". Ils savaient ce qu'ils devaient à leur généreux mécène...
On peut aussi s'amuser à noter le grand nombre de points communs entre Crime Of The Century et Dark Side Of The Moon, sorti quelques mois auparavant. Même pochette aux teintes sombres qui frappe l'esprit, mêmes thèmes abordés (la folie, la solitude, l'école, la société contemporaine aliénante de façon générale...), même construction avec l'album qui se termine de la même façon qu'il débute (ce sont les battements cardiaques chez Pink Floyd), bref la filiation, même inconsciente, est assez nette. Cela n'empêche pas Crime Of The Century d'être un disque absolument remarquable de bout en bout, construit de façon magistrale. Les huit titres s'enchaînent de façon tellement cohérente qu'on n'a absolument pas l'impression que trois quarts d'heure viennent de s'écouler.
L'album se vendra très bien, et permettra à Supertramp de poursuivre sa carrière telle qu'on la connaît. Sous cette formation, le groupe publiera quatre autres albums: deux pas mal (Crisis? What Crisis?, enregistré un peu trop vite après Crime Of The Century, et Famous Last Words, dernier disque enregistré par le quintet et qui annonce très clairement la séparation à venir), un très bon (Even In The Quietest Moments), et un qui tangente le qualificatif de chef d'oeuvre (Breakfast In America, véritable usine à tubes). Mais, et c'est suffisamment rare pour être souligné, les cinq membres de Supertramp ont toujours été d'accord sur un point: ce qu'ils ont fait de meilleur, c'est Crime Of The Century.
En guise de bonus, le management de Supertramp ne laissant rien filtrer sur YouTube, je me contenterais de vous conseiller la lecture de l'ouvrage Supertramp: la bio ultime parue en 2015, écrite par Fabrice Bellengier, et qui constitue une mine d'informations incalculable pour tout fan de Supertramp qui se respecte. A lire absolument!